De Nietzsche à Nabokov, la Riviera des écrivains

De Jean Cocteau à Romain Gary et Francis Scott Fitzgerald, en passant par les voix contemporaines telles que J. M. G. Le Clézio ou Didier van Cauwelaert, la Côte d’Azur est depuis plus d’un siècle une terre d’inspiration littéraire.

Aux sources de l’inspiration

Le tout premier à inscrire la pensée dans le paysage azuréen est peut-être Friedrich Nietzsche. En 1883, affaibli et mélancolique, il s’installe à Nice puis à Èze-sur-Mer. Chaque jour, il emprunte le sentier escarpé qui relie la plage au village haut perché d’Èze. Ce « chemin de Nietzsche », aujourd’hui balisé et mythique, lui inspire une partie d’Ainsi parlait Zarathoustra. Il y trouve une forme de transcendance verticale, une austérité lumineuse, loin de l’Allemagne.

Dans les années 1920, la Riviera devient le repaire flamboyant de la jeunesse dorée américaine. Francis Scott Fitzgerald, icône de la « génération perdue », pose ses valises avec Zelda à la Villa Saint-Louis, sur le Cap d’Antibes. Ce lieu, devenu depuis l’Hôtel Belles Rives, est le théâtre intime et romanesque de Tendre est la nuit. Le roman met en scène Dick et Nicole Diver, double fictif du couple Fitzgerald, dans une tragédie étincelante aux accents autobiographiques. L’hôtel perpétue aujourd’hui cette mémoire, avec un piano-bar à son nom et des salons préservés dans leur atmosphère Art déco.

Plus discret, mais tout aussi essentiel, Vladimir Nabokov séjourne dans la région dans les années 1930. Il réside notamment à Menton, à Fréjus, à Cannes ou au Cap d’Antibes, alternant écriture et chasse aux papillons. La lumière de la Riviera, qu’il juge idéale pour l’observation entomologique, inspire les premières lignes de Lolita. Il y mêle exigence formelle et mélancolie feutrée, typique de l’exilé en quête d’absolu.

Jean Seberg et Romain Gary en 1965 © Reporters Associes / /Gamma-Rapho via Getty Images

Villas secrètes et fresques d’écriture


À Menton, Jean Cocteau ne se contente pas d’écrire : il imprime son art dans la pierre. Il transforme la salle des mariages de la mairie en une œuvre d’art totale, puis investit un vieux bastion du XVIIe siècle pour y créer son musée. Mais c’est à la Villa Santo Sospir, à Saint-Jean-Cap-Ferrat, qu’il laisse son empreinte la plus intime. Invité dans cette villa face à la mer par son amie Francine Weisweiller, il y séjourne de longues périodes et en tatoue littéralement les murs, mêlant fresques mythologiques, symbolisme méditerranéen et figures antiques. Chaque pièce devient un poème visuel. Santo Sospir, aujourd’hui classée, est une plongée dans l’univers de Cocteau : théâtral, spirituel, solaire.

Au tournant des années 1960, Romain Gary partage sa vie avec Jean Seberg et séjourne régulièrement sur la Riviera. Il trouve dans le calme du Cap Ferrat une matière propice à l’écriture de La Danse de Gengis Cohn ou Chien blanc, qu’il nourrit de ses luttes intérieures et du silence méditerranéen. Non loin de là, Guy de Maupassant jette l’ancre de son yacht Bel-Ami au large de Beaulieu-sur-Mer. Il écrit depuis son embarcation, fasciné par la mer, la lumière crue et les falaises abruptes de la Côte d’Azur. Son regard mêle réalisme, vertige existentiel et admiration pour la beauté brute de ces paysages.

Saint-Paul-de-Vence, célèbre pour ses artistes, attire aussi de nombreuses plumes. À la Colombe d’Or, on croise Prévert, Aragon, puis Le Clézio, venu renouer avec ses racines niçoises. C’est là que s’échangent des idées, que naissent des livres, que se croisent poésie et peinture. Les ruelles du village gardent encore cette ambiance feutrée, entre ateliers d’artistes et cafés de village.

Villa Santo Sospir © DR

Une terre encore féconde


La Côte d’Azur ne cesse d’inspirer les écrivains. Dans les années 1950, Françoise Sagan écrit, à dix-huit ans, son premier roman Bonjour Tristesse dans une villa louée par ses parents à Juan-les-Pins. La Riviera y devient le théâtre d’un huis clos lumineux et cruel, où se mêlent sensualité, insouciance et désillusion. Le roman, brûlant de jeunesse et d’intelligence, propulse Sagan dans la légende et façonne à jamais l’image d’une Côte d’Azur décadente, élégante et mélancolique. Après ce succès fulgurant, elle continue de fréquenter Saint-Tropez, Ramatuelle, Cap Martin, trouvant dans les courbes de la route littorale, les pinèdes chauffées au soleil et les plages confidentielles, la toile de fond de ses récits d’errance et de liberté. Sa plume, légère et acérée, épouse les contours d’un Sud devenu écrin de passions discrètes.

Patrick Modiano, lui, déploie une géographie plus trouble, hantée par la mémoire. Dans Villa Triste, inspiré du Cap d’Antibes, un narrateur solitaire se souvient d’une saison suspendue, marquée par le silence et l’ambiguïté. D’autres romans, comme Accident nocturne ou Rue des boutiques obscures, convoquent Nice, Cannes ou Menton, comme des lieux poreux où le réel se dissout dans les brumes du passé. Une Riviera spectrale, où l’on cherche sans toujours retrouver.

Parmi les voix contemporaines, Didier van Cauwelaert, prix Goncourt 1994, ancre ses romans dans une Riviera sensible et enracinée. J.M.G. Le Clézio, prix Nobel de littérature, revient régulièrement dans sa ville natale de Nice, à laquelle il rend hommage dans L’Africain ou Raga.

La mémoire littéraire de la Côte d’Azur est diffuse, vivante, intime. Elle se cache dans les chambres d’hôtel, les villas invisibles, les sentiers côtiers, les terrasses ombragées. Elle se murmure dans les couloirs du Negresco, du Westminster, du Welcome ou du Belles Rives, et se lit aussi dans les paysages : une plage déserte, une pinède, ou encore une lumière dorée en fin d’après-midi.

No items found.

Cover : Portrait de Francis Scott Fitzgerald © Getty - Bettmann

No items found.

Lieux Associés

Belles Rives
December 19, 2024

Belles Rives

Antibes

Lieux Associés

No items found.