Sur la Côte d’Azur, une génération d’artistes façonne la terre comme un manifeste. Héritiers d’un territoire solaire où Picasso, Capron ou Léger ont redonné ses lettres de noblesse à la céramique, ces créateurs réinventent aujourd’hui le geste, la matière et la lumière. Entre Nice, Vallauris et Saint-Paul-de-Vence, ils insufflent à cet art ancestral une énergie contemporaine et poétique, à la croisée du design, de l’architecture et de la sculpture.
Léa Ginac : quand le design rêve d’éternité

Chez Léa Ginac, les objets racontent une histoire, celle d’un héritage et d’une émotion. Fille d’antiquaire, elle a grandi entourée de pièces anciennes et de matières nobles. « L’amour des objets, c’est mon langage. Ce que je fais aujourd’hui, c’est une manière de prolonger ce que mon père m’a transmis. »
À vingt-trois ans, elle présentait sa première collection de mobilier et d’objets, et depuis, son univers s’est imposé dans les galeries et les intérieurs du monde entier. Elle crée pour la Galerie Scène Ouverte à Paris, participe à de grandes foires internationales, comme Art Basel, tout en développant sous son nom des séries limitées de luminaires, meubles et sculptures. Plâtre, bois, marbre, pierre, aluminium ou céramique : Léa explore sans frontières les matières et les textures, cherchant toujours l’équilibre entre force et délicatesse.
Représentée par Chiara Colombini, elle collabore avec de nombreux architectes et décorateurs, notamment sur des projets d’hôtellerie et d’espaces publics. Elle a notamment signé la création de mobilier pour le Terminal 2B de l’aéroport Paris Roissy-Charles de Gaulle, dans une zone imaginée par l’architecte Nathalie Craps, ainsi que des appliques pour le Sofitel de Rabat.
« Tout cela s’est construit doucement, naturellement. Je travaille avec amour ,entourée d’artisans d’exception — céramistes en Italie, staffeurs et ferronniers à Nice — ces petites mains magiques sans qui rien ne serait possible. »
À Nice, elle a récemment conçu la scénographie de la suite à l’étage de la boutique Trésors Publics, un écrin transformé en sanctuaire marin : un lit immaculé couronné d’un visage antique et entouré d’une constellation de coquillages en céramiques, véritable autel mythologique dédié à la mer et à la beauté infinie. Léa y avait dessiné appliques, suspensions, pots et pique-fleurs en édition limitée, d’une poésie antique et moderne sculpturale.
« Mon moteur, c’est de créer des objets contemporains, mais intemporels, que le temps n’efface pas. Je veux que mes pièces gardent leur âme, leur présence. »
Maxime Siau : la mémoire des objets

À trente-deux ans, Maxime Siau s'impose comme l’une des voix les plus singulières de la céramique contemporaine. Formé entre la France et Los Angeles, où il fut restaurateur puis street artist, il a choisi la porcelaine pour sa fragilité et sa délicatesse, qu’il détourne avec audace dans des créations à la fois poétiques et critiques.
Avant de se consacrer à l’art, il a mené plusieurs vies : consultant R&D à Paris pour de grandes marques, puis directeur de restaurant à Los Angeles. De ces expériences, il garde une lucidité sur la société de consommation et une conscience écologique qui irriguent aujourd’hui son œuvre. Diplômé et major de promotion en art et design produit à Nice, il s’est formé à la sculpture et au moulage auprès de l’artiste-fondeur Stéphane Cipre, avant d’effectuer une résidence à Monaco en 2021.
Sa collection « Made in China » a révélé son univers : celui d’un artiste qui revisite les objets emblématiques de notre quotidien – manette de console, appareil photo, sneakers – à travers le savoir-faire ancestral de la porcelaine, enrichi de motifs inspirés de la toile de Jouy, symbole d’un certain art de vivre à la française. « J’essaie d’imaginer comment nos objets d’aujourd’hui auraient pu être fabriqués il y a six cents ans. »
Clin d’œil à la dynastie Ming, cette série interroge la mémoire de nos usages et la trace laissée par l’homme sur Terre. Finement peintes à la main et recouvertes d’émaux délicats, ses sculptures mêlent ironie et élégance, convoquant à la fois la beauté, la fragilité et le temps qui passe. Son travail, exposé chez GCA Gallery (Nice et Paris), Galerie 2M (Saint-Paul-de-Vence) et au sein des galeries Deodato Arte en Italie, explore désormais de nouveaux horizons. L’artiste intègre dans ses nouveaux travaux le bois et le métal, rêvant de sculptures monumentales mêlant matières brutes et conscience environnementale.
« Ce qui m’inspire, c’est la trace de l’homme sur Terre, ce qu’on laisse derrière nous », confie-t-il. Inspiré par la Méditerranée, son bleu profond et sa lumière changeante, il prépare aujourd’hui une nouvelle exposition pour le printemps 2026, tout en poursuivant une série de lithographies inspirées des couchers de soleil photographiés à Beausoleil, avant la naissance de sa fille. Une manière intime et poétique de célébrer la vie, la transmission et le temps suspendu.
Live performance à Milan en décembre 2025 chez Deodatto Arte Gallery
Olivia Cognet : l’architecture du geste

Ancienne créatrice dans la mode, Olivia Cognet a troqué le cuir contre la terre, les sacs et les souliers contre des sculptures. Une trajectoire audacieuse, guidée par le même fil conducteur : la matière, le geste et la lumière. « Je ne pouvais plus rester assise derrière un bureau. J’avais besoin de travailler avec mes mains, de sentir la matière. »
Formée à la Villa Arson à Nice et diplômée d’un BTS de mode, elle débute chez Jean-Charles de Castelbajac, avant de collaborer avec Sonia Rykiel, Carven, Mugler, Lanvin, Stéphane Kélian ou encore Alber Elbaz. Un parcours fulgurant dans les grandes maisons, mais de plus en plus corseté par le marketing. « La création se réduisait au commercial. J’adorais la mode, mais j’avais perdu le sens. »
En 2016, expatriée à Los Angeles, elle découvre la céramique presque par hasard. « J’étais en manque d’activité manuelle. J’ai pris un cours et j’ai su immédiatement que j’avais trouvé ma voie. C’était magique : pouvoir créer un objet de A à Z, avec presque rien. »
Autodidacte passionnée, elle installe son premier atelier dans son garage, présente ses œuvres lors d’une foire branchée à Silver Lake, et vend tout en trois jours. Rapidement, les architectes d’intérieur californiens la repèrent et lui commandent des pièces sur mesure.
Son style ? Une puissance sensible. Bas-reliefs monumentaux, lampes-sculptures, totems et objets architecturaux naissent sous ses mains, entre force et douceur. Inspirée par Brancusi, Noguchi et le modernisme californien, elle explore le dialogue entre ombre et lumière, matière et émotion. « La céramique, c’est l’architecture du geste. »
De retour en France en 2022, elle installe son atelier à Vallauris, berceau de la céramique moderne. « J’ai découvert un savoir-faire incroyable, celui des potiers qui ont travaillé avec Capron ou Picasso. Ici, tout respire l’artisanat d’excellence. » Entourée d’une équipe de céramistes, ferronniers et staffeurs, elle développe aujourd’hui un travail monumental, à la frontière entre art et design.
Ses collaborations se multiplient : Fendi (pour qui elle signe les bas-reliefs des boutiques d’Amsterdam et de Londres), Hermès, Dior, ou encore la créatrice new-yorkaise Ulla Johnson. Ses œuvres voyagent de Paris à Los Angeles, entre galeries et projets architecturaux, sans jamais perdre cette sensualité brute qui signe sa patte.
Jusqu’au 31 octobre, la Galerie Olivia Cognet s’installe à Mareterra Monaco, où elle expose plusieurs pièces emblématiques dans un dialogue vibrant avec la lumière azuréenne.
Au printemps 2026, elle investira Dragon Hill, au cœur de la mythique villa Jacques Couëlle, pour une résidence et une exposition mêlant design, sculpture et art monumental, avant un solo show à Bruxelles la même année.
« Ce qui me fait vibrer, ce sont les grandes pièces, celles qui dialoguent avec les lieux. J’aimerais aller encore plus loin: imaginer des façades, des parvis, des sculptures à l’échelle d’un bâtiment. »
Résidence & exposition à venir — Dragon Hill, Villa Jacques Couëlle @dragonhillresidence et Solo show à Bruxelles.
Lisa Cousin : la terre comme lien
Dans son atelier lumineux de Nice, Lisa Cousin fait de la céramique un art du partage. Formée aux Beaux-Arts de la Villa Arson et aux Arts Décoratifs de Paris, cette ancienne scénographe de théâtre - elle a longtemps travaillé pour Jean-Pierre Laporte au TNN et à Anthéa - a ouvert en 2020 un atelier de 30 m² dédié à la création et à la transmission. « La céramique, c’est la seule activité où je me sens totalement apaisée. Le temps s’arrête. »
Entre cours collectifs et pièces sur mesure, Lisa partage son amour du geste et de la matière. « Ce que j’aime dans les cours, c’est réfléchir avec les élèves, même les débutants. J’ai l’impression de participer un peu à leurs objets. » Son univers, à la fois brut et sensible, s’exprime dans des créations fonctionnelles : vases, assiettes, bols ou lampes, façonnés à la main, où chaque irrégularité devient une signature.
Ses réalisations sur mesure habillent déjà de nombreuses adresses niçoises : Bocca Nissa, Maïdo, Banh Meï, Marriott, La Cantine de Mémé, séduites par leur authenticité artisanale.

Photo de couverture © Vincent et Thérèse













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